Un amour de Sully Prudhomme en bourgogne
Philippe Mauduit
Ami, depuis le lycée, d’Henri Schneider, directeur au site du Creusot, le jeune Gabriel Sully Prudhomme est invité à travailler quelques mois dans l’administratif de l’entreprise pour se former. Henri Schneider s’intéresse aux travaux littéraires de son ami, les deux hommes partagent un goût commun pour la poésie, mais Au Creusot, le poète se sent oppressé par le monde industriel.
Il préfèrerait dit-il « vendre des pommes » pour continuer d’écrire, plutôt que d’intégrer une activité dans le vallon de la Charbonnière où l’on extrait du charbon, où l’on fabrique les aciers les plus durs, où retentissent de lourds pilons. Cet univers marquant des mines et des forges lui inspire notamment le poème La Damnée, publié dans le recueil Les épreuves en 1866 : `
« Tout hurle, et dans cet antre où les jours sont des soirs, Et les nuits des midis d’une rougeur ardente, On croit voir se lever la figure de Dante, Qui passe, interrogeant l’éternel désespoir. »
Monsieur Jean-Baptiste Mollerat, industriel chimiste à Pouilly-sur-Saône, recevait des ingénieurs et des industriels de la région, et notamment la famille du Creusot, les Schneider. En 1858, Sully Prudhomme accompagne Henri Schneider pour assister à une soirée donnée par les Mollerat et il y rencontre Alice Amiel, prisant, comme sa mère Tullie Moneuse, la littérature.
Lors d’un autre séjour, cette dernière le soigne, car, de santé fragile, il le poète a contracté une mauvaise grippe. Un lien amical fort se créé mais Alice est Mariée. Durant cette période, il compose le célèbre poème intitulé Le vase d’une grande portée évocatrice.
Sully Prudhomme fuyant le monde du Creusot, regagne finalement Paris, les occasions de voir Alice se font rares. Aussi, dans les Stances parues en 1865, trouve-t-on un poème intitulé « La séparation » qui pourrait lui être dédié car il évoque une fracture sentimentale douloureuse. Jusqu’à la mort de la jeune femme survenue en 1881, les deux amis échangent une correspondance affectueuse assidue qui inspire et nourrit l’oeuvre du grand poète.